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Chères équipes vétérinaires, ne jugeons pas trop vite…


J’aimerais partager cet exemple évocateur que j’aime raconter à ceux qui font leur entrée dans notre fascinante profession.

Juger est un réflexe naturel. Notre cerveau primitif veut se faire rapidement une idée du danger. En jeune professionnel, on veut sauver, prévenir, aider. En sortant de l’école, on détient la vérité parce qu’on vient de se la faire gaver dans le gosier pendant 5 ans. Le savoir académique est valorisé, voire sanctifié. Jeunes diplômés, nous sommes en mission.

Je vous raconte cette histoire pour illustrer cette bienveillance nécessaire dans notre milieu, d’autant plus en ces temps incertains.

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Je suis en clinique. Ma technicienne adorée va chercher le gros de l’histoire du cas auprès d’une cliente que nous connaissons bien en salle d’examen. Elle me rapporte les morceaux les plus pertinents afin que je débute mon enquête. Ça me sauve du temps et je peux rendre service à plus de gens.

Le briefing

Nous nous rencontrons dans notre cellule, c’est-à-dire la salle de traitement à l’arrière des salles d’examens. Nous sommes entre nous, entre les cages et les tables d’acier inoxydable, mais ça reste un endroit chaleureux. Ici nous faisons de tout ; des plâtres, drainer des abcès, extraire des dents, mettre des chiots au monde. J’ADORE ça, je vis mon rêve d’enfant. Je suis utile, aux animaux et à leur famille. Le plus difficile, c’est de devoir naviguer entre les icebergs d’émotions des gens. Leur vécu et leur réalité qui teintent leurs décisions et qui affectent leur attitude. Les animaux sont faciles à deviner pour nous vétérinaire. J’aime les humains aussi, mais ils sont plus complexes, disons-le.

Bref, après avoir passé un petit 10 minutes avec la cliente et son chien, lui avoir posé des questions, avoir pris une température rectale, les fréquences cardiaques et respiratoires entre autres et fait un petit brossage de base de queue à la recherche de puces, la technicienne revient vers moi et me rapportent le gros de sa conversation.

« Bon, la dame est ici pour un examen et pour un vaccin », classique.

Certains trouvent ça monotone, moi j’adore. J’ai plus de temps pour en apprendre sur l’humain et surtout pour donner des conseils sur la santé du chien plutôt que de ramasser les pots cassés d’un problème de santé qui dure depuis trop longtemps par exemple. Ça, c’est long et plus compliqué.

Avec un air désespéré teinté d’exaspération, les yeux levés au plafond, ma technicienne me dit : « et la dame pense que cette année elle n’a pas besoin de médicaments pour la prévention des parasites… tu sais là... »

Oui, oui, ceux qui pensent qu’en mettant de l’huile de lavande vraie en arrière des oreilles, de la terre diatomée entre les orteils et un vaporisateur à l’eucalyptus citronné, les tiques vont repartir en Virginie. Je vois très bien. Je suis très ouverte aux médecines complémentaires et holistiques, je pratique des manipulations chiropratiques, je prescris des champignons médicinaux et de l’huile d’arbre à thé dans du macérat d’huile de calendula. Mais pour les tiques, de grâce, lâchez-moi ces remèdes inutiles donnant un faux sentiment de sécurité.

Les tiques ne sont pas de simples moustiques !

Nous vivons dans une région infestée de tiques. Les tiques transmettent des maladies graves comme la maladie de Lyme. Nous perdons des patients chaque année de la maladie de Lyme et nous en traitons des centaines. Nous avons des clients qui ont de l’hémiparésie du visage à cause de la maladie de Lyme, d’autres qui sont invalides… Nous avons déjà été la clinique qui a eu le plus de cas positifs à la maladie de Lyme dans l’est du Canada !

Je dis alors à ma technicienne d’un ton assumé « laisse-moi faire, je vais arranger ça », avec ma conviction et les 3 lettres durement gagnées après mon nom de famille.

J’entre donc dans la salle d’examen avec une mission dans ma poche de sarrau blanc. À ce moment précis vous vous dites : mais pourquoi les vétérinaires sont-ils si obsédés par la vente des médicaments de prévention ? Sachez-le, même si on entend beaucoup, et à tort, que les vets sont à l’argent, je n’ai – ma technicienne non plus – aucun incitatif financier à vendre des préventions contre les parasites à mes clients. Rien, à part peut-être un crayon avec le logo de la pharmaceutique qui fabrique les produits et des fois, un traitement gratuit pour un de mes animaux, par saison. Pas de commission, pas de croisière dans les Balkans, pas de suit de ski à l’effigie du produit non plus. Ce que nous retirons de ces interventions de prévention alors ? Le sentiment d’avoir fait notre travail de professionnel de la santé animale et d’avoir prévenu ce qui pouvait l’être, soit la maladie de Lyme et l’anaplasmose.  Pour vos chiens, mais aussi pour vous.

La maladie de Lyme et l’anaplasmose

Aux mains de ces maladies, j’ai perdu plusieurs patients, j’ai vécu plusieurs mélodrames de familles couchées par terre dans la salle d’examen, en pleurs, désemparée de perdre leur compagnon d’à peine 2 ans parce que nous ne pouvions plus rien faire. J’ai parfois été complètement impuissante après des semaines de traitement. J’ai souvent passé des fins de semaine à la clinique et du temps à consulter des références et des spécialistes. J’ai souvent dû annoncer des diagnostics difficiles et vu des histoires tristes se terminer en euthanasie dramatique.  Car c’est difficile : pour vous, pour nous, pour nos équipes et surtout pour nos patients.

Ma cliente récalcitrante…

Forte de tout ce que vous venez de lire et ayant confiance en mes moyens, je me dis que je vais expliquer ça à la dame le mieux possible pour la protéger elle, sa famille et son chien et elle va comprendre. Je réussis la plupart du temps, car je suis sincère et ça se voit. Je suis fière d’être médecin vétérinaire.  Oui, nous sommes des gens vrais qui côtoient la douleur, la vie et la mort, authentiques et dévoués. La couenne dure, le cœur tendre, l’esprit professionnel. Pas de demi-mesure pour nos amis les animaux. Car nous sommes passionnées. Pas juste en surface comme dans un pub, mais jusque dans la moelle. Croyez-moi, nous sommes là pour que vos animaux soient bien. Peu importe les décisions que vous avez prises pour eux. Nous sommes là pour leur offrir le meilleur et rien de moins. Et si un de nous dans l’équipe oublie quelque chose pour faire mieux, on se le fait dire par les autres au nom de la mission.

-Bonjour Mme Gendron… contente de vous revoir. Comme ça vous cette année, vous ne croyez pas avoir besoin de protection contre les parasites pour Chopin ? Pourriez-vous m’en dire plus sur ce qui guide votre choix ?

Genre je la joue cool et l’esprit ouvert, mais en fait, je suis en mission pour lui faire comprendre qu’il vaut mieux protéger son chien.

-Bien non, je n’en ai pas besoin, car je ne marche plus dehors avec mon chien.

Oh… Je suis déstabilisée.

Vous avez mal quelque part ?

Non. Mon fils est passé à travers de la glace en motoneige et il est porté disparu depuis 2 mois. Alors je ne marche plus. Je reste chez moi. J’attends qu’ils le retrouvent. Il va avoir un bébé dans 1 mois. Pis moi, ça ne me tente pas de marcher avec mon chien. C’est tout. Quand on le retrouvera, on verra… La police a retrouvé son casque dans l’écluse aujourd’hui. Ils devraient le retrouver bientôt.

À ce moment-là, j’ai le cœur et la tête dans un étau. Je peine à respirer. La vie de ma cliente est sur pause depuis 2 mois, un drame. Et moi qui ne savais pas, je ne pensais qu’à ma mission de protéger son animal et sa famille alors que dans la situation il n’est plus à risque.

Je suis désolée. Je… je… je ne savais pas. Je comprends totalement. Tout va bien pour votre chien heureusement. Je suis avec vous en pensée. Je vous souhaite du courage pour affronter ce drame. Nous serons là lorsque vous aurez besoin de nous. En espérant que vous puissiez recommencer à marcher bientôt sur le bord du canal comme vous aimiez tant le faire. Je vais examiner Chopin et je ne vous retiens pas plus longtemps. Merci d’avoir partagé votre histoire avec moi.

Je retourne dans la salle de traitement là où il fait bon ventiler, la tête dans les épaules, la mandibule pendante…

Le soir même, ma technicienne adorée m’a écrit qu’elle a vu dans les médias que le corps d’un jeune homme de 26 ans avait été retrouvé dans le canal…

La cliente est venue me revoir 2 mois plus tard pour chercher ses médicaments préventifs.

J’ai appris de cette triste histoire. J’en suis restée marquée. Attention au jugement. On ne sait pas ce que les gens traversent, alors soyons gentils, et bienveillants.