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Le contexte pour « faire faire »

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Je discutais dernièrement avec une jeune femme médecin vétérinaire gestionnaire. Une professionnelle admirable, vaillante et brillante. Appelons-la « la ballerine » puisqu’elle s’est astreinte durant des années à maîtriser cette discipline qu’est la danse classique. Habituée d’être exigeante envers elle-même et de réussir, elle était découragée de sa capacité de gestionnaire. À coup de phrases assassines, lues à travers différents articles de gestion ou présentées en quelques secondes sur Facebook, elle s’autoflagellait devant la démission d’une jeune vétérinaire qu’elle aimait. Elle se rappelait sévèrement que les employés quittent un gestionnaire avant un emploi, que du personnel engagé est fidèle et se questionnait à savoir pourquoi tant de ses efforts n’étaient pas récompensés. 

J’ai beaucoup réfléchi à l’histoire de « la ballerine » que je reconnais si souvent à travers celle d’autres femmes vétérinaires/propriétaires d’établissements dignes des belles PME de notre Québec Inc. Et je me suis demandé pourquoi la gestion anéantit par moment même les plus compétentes de ces femmes. 

Ma théorie veut que cela découle du fait qu’il est si facile et si souvent répété de penser que les bons coups demeurent les succès des employés et que ce qui va mal est plutôt le fruit du manque de compétence du gestionnaire. Loin de moi l’idée d’enlever le mérite à ceux qui travaillent bien. Mes équipes débordent de gens extraordinaires qui font ma fierté. Il y a une différence entre « avoir une conscience de soi » et viser à s’améliorer et à apprendre et à s’enlever tout mérite devant chaque difficulté. Ainsi, je dis non à l’autoflagellation constante; je dis non (ou j’essaye de dire non!) à la culpabilité qui semble si souvent atteindre les femmes. Le travail du gestionnaire est d’organiser un contexte qui permet aux gens de donner le meilleur d’eux-mêmes. L’administrateur ne « fait pas », il autorise aux autres de faire; il « fait faire ». Il procure les outils, développe les capacités, montre par l’exemple et tant d’autres choses. Il a le droit de savourer les bons coups de chacun des membres de son équipe et de s’en attribuer une petite partie. Autrement, comment être heureux en gestion si tout ce qui va mal est imputé à la gouvernance qui serait pourtant étrangère à ce qui va bien? 

Un gestionnaire doit être reconnu pour ses capacités à installer un climat de travail qui permet à chacun d’exploiter ses forces et qui unit l’équipe sur un but commun. 

La ballerine dont je vous parlais est toute chagrine et se remet en question parce qu’elle perd une vétérinaire qu’elle aimait beaucoup. C’est vrai que c’est décourageant, mais elle aurait tort de se juger exclusivement par cela. La gestion, c’est plus que des phrases toutes faites pour capter l’attention 10 secondes sur Facebook dans lesquelles le patron n’a jamais raison. De plus, contrairement à un concert de ballet, il n’y aura pas d’applaudissements à la fin du spectacle… 

Il faut donc apprendre à se dire une fois de temps en temps qu’on est fière du travail de l’équipe, tout en reconnaissant, bien sûr, que le mérite de ce travail nous revient au moins un tout petit peu puisque le contexte l’a permis. Ma ballerine ne comprenait toujours pas après cette explication. Alors, je lui ai demandé: « Si ton conjoint mitonne pour recevoir des amis et que tout le monde lui dit que c’est délicieux, une partie du mérite te revient si tu as fait le ménage avant, t’es occupée des enfants pendant que monsieur préparait à manger, cours de cuisine offerts à Noël avec de super couteaux pour sa fête… Suppose en plus que tu as payé l’épicerie, la nappe et même la maison où a lieu le repas et que tu as appelé, négocié et réglé l’électricien quand il y a eu un trouble électrique…. En plus de cela, tu as invité des gens que ton conjoint aime, qui partagent vos valeurs; tu as établi des règles pour que tout le monde puisse prendre plaisir au repas. Ne crois-tu pas que tu as permis que le contexte soit favorable à ce que le festin soit succulent? Et bien, chère ballerine, tu fais la même chose tous les jours en gestion. Tu travailles à installer un contexte qui permet « de faire faire » aux autres les réussites de l’hôpital. Ni plus mais… ni moins ma chère! »

Paru dans Le Rapporteur Fin d’année 2017 de l’Association des médecins vétérinaires du Québec