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Mamans au travail…et les messages culpabilisants


Certaines phrases peuvent être assassines. D’autres, plus subtiles, deviennent sujettes à interprétation de deux façons et l’habile messager se donne le beau rôle. À titre d’exemple, je me souviens avoir entendu il y a quelques années, une animatrice à la radio féliciter Céline Dion pour son retour hâtif au travail après son dernier accouchement. De mémoire, voici ses propos: « Je la trouve bonne d’être capable de laisser ses jumeaux si jeunes. Elle est chanceuse d’avoir des gens de confiance. Moi, même avec la meilleure personne au monde, j’aurais été incapable. Son travail est tellement important pour elle! » Ces mots pouvaient clairement laisser entendre que Céline valorisait plus son métier que ses enfants. L’animatrice nous démontrait en même temps à quel point Céline est une bonne maman. 

Travaillons-ensemble

Ce qui m’amène à vous raconter une histoire qui m’est arrivée dernièrement. J’ai une super employée qui a envie d’avoir plus de responsabilités, nommons-la Sophie. Je lui ai offert un poste de gestion et voici ce que fut sa réponse: « Je ne sais pas. Faudrait voir ce que ça implique parce que si c’est trop d’heures, je ne pourrai pas. »

« Moi, je ne suis pas comme toi, ma famille est importante pour moi. »

J’ai eu envie de me justifier, d’expliquer que ma famille est aussi primordiale pour moi et que, par ailleurs, la distribution des tâches est moins traditionnelle chez moi qu’ailleurs, de dire que mes enfants vont bien, qu’ils dinent à la maison, fréquentent rarement le service de garde et font toutes sortes d’activités. En résumé, je me suis sentie jugée et coupable… 

Cependant, c’est ici que j’ai été contente de me rappeler un truc appris en maitrise. Il faut dépersonnaliser un message. Ainsi, on trouve une signification neutre quelle que soit la phrase et on se souvient que derrière toute demande se cache un besoin. Le message de Sophie aurait pu se découper ainsi: 

« Je ne sais pas » se transforme en « Ça peut m’intéresser ». 

« Faudrait voir ce que cela implique » par « Définis-moi tes attentes ». 

« Ma famille est importante pour moi » devient « J’ai des contraintes familiales que je veux/dois respecter ». 

Son besoin en est un de clarté. Le poste doit être défini avec plus de précisions. 

Cette façon d’analyser le message enlève le côté blessant. Les meilleurs leaders sont capables de servir des communications déjà dépersonnalisées qui permettent de se concentrer sur ce qui compte et d’avancer, plutôt que sur l’individu. 

Je me permets ici un paragraphe personnel. Dans une profession majoritairement féminine, est-il vraiment nécessaire entre nous, les femmes, d’utiliser ces petits messages culpabilisants sur le mode de gestion familiale choisi par une autre femme et son conjoint? Je discutais avec d’autres mères impliquées dans leur carrière qui ont toutes aussi vécu ce genre de conversations. De la directrice d’école qui « Reconnais un nouveau visage quand maman vient chercher les enfants, c’est tellement plus souvent papa… » à l’amie qui dit « Rien ne remplace une maman » en passant par la soccer-mom qui confie « Je vois toujours votre mari, mais vous, c’est la première fois. Vos enfants doivent trouver ça plate que vous ne veniez jamais à leur match? » Ou encore la collègue qui affirme ne jamais vouloir de clinique « Parce que mes enfants sont plus importants que l’argent. » 

Je me demande — à part conforter la personne qui parle de ce rôle qu’elle a choisi de prendre dans sa famille — ce qu’il y a de positif dans ce genre de message? N’y a-t-il encore qu’un seul modèle valable en 2018? Faut-il absolument seulement vouloir faire de l’argent quand on décide de devenir entrepreneur et cela ne peut-il pas aussi pour défendre des valeurs et prendre plaisir aux défis et aux développements personnels que cela implique?

Pourquoi admire-t-on les hommes qui le font et décourage-t-on les mères qui jonglent pourtant avec beaucoup d’énergie à combler les besoins familiaux et ceux de la business ? 

Lors du dernier congrès de l’AMVQ, j’étais en discussion avec un bon groupe de médecins vétérinaires. Alors qu’on suggérait à un collègue masculin, parent aussi, de considérer faire l’école d’entrepreneuriat en Beauce, la même représentante me recommandait du même souffle de ralentir pour ne pas me brûler: « C’est si prenant une famille et une carrière ». Dans une profession où l’empathie et l’ouverture d’esprit sont des qualités que nous avons tous développées, il me semble qu’on pourrait également étendre cette façon de penser envers nos collègues…

La Superfemme n’existe pas! De grâce, entre nous, ne jouons pas ce jeu de culpabiliser l’autre. Soyons fortes et plus unies que cela. 😉

Paru dans Le Rapporteur Été 2018 de l’Association des médecins vétérinaires du Québec